Depuis plus de cinq ans, Tadej Pogačar semble intouchable — un coureur apparemment imperméable à la fatigue, à la pression et aux lois naturelles de la longévité cycliste. Mais aujourd’hui, deux des voix les plus respectées du cyclisme belge, Johan Museeuw et Eddy Merckx, posent une question dérangeante : la superstar slovène flirte-t-elle avec les mêmes pièges de style de vie qui ont autrefois émoussé l’éclat de Peter Sagan ?

La comparaison ne porte pas sur le talent il est hors de toute discussion. Comme Sagan à son apogée, Pogačar dégage une domination presque insouciante. Il court avec joie, attaque à l’instinct et donne l’impression que le sport s’adapte à son rythme. Pourtant, Museeuw et Merckx perçoivent un danger précisément dans cette liberté.
Le talent peut te protéger pendant des années, a souvent averti Museeuw dans des contextes similaires, mais tôt ou tard, les marges te rattrapent. L’inquiétude ne concerne ni le volume d’entraînement ni l’intelligence tactique, mais l’équilibre cette frontière fragile entre vivre comme un champion et vivre comme une célébrité.
Le calendrier de Pogačar est implacable. Ambitions sur les Monuments, Grands Tours, Championnats du monde, obligations médiatiques constantes et une image publique qui dépasse largement la bulle traditionnelle du cyclisme. Ajoutez à cela les engagements avec les sponsors, les sollicitations sociales et un désir visible de profiter de la vie au-delà du peloton, et les échos de Sagan deviennent difficiles à ignorer.
Peter Sagan, autrefois la force la plus électrisante du sport, n’a pas soudainement perdu ses jambes. Son déclin fut progressif — presque invisible au départ. Une accélération manquée ici, un sprint une demi-seconde plus lent là. Comme Merckx l’a souvent rappelé à propos des champions du passé, la grandeur ne disparaît pas du jour au lendemain ; elle s’estompe lorsque la récupération se dégrade et que la concentration se fragmente.
Le cyclisme de très haut niveau exige une obsession », a répété Merckx au fil des années. Pas seulement du talent — une obsession. Sa crainte est que la superstardom moderne rende cette obsession plus difficile à maintenir. Pogačar n’est pas imprudent, mais il est partout, il court beaucoup, il sourit souvent, il vit pleinement. C’est admirable — et potentiellement dangereux.
L’ironie, c’est que la plus grande force de Pogačar pourrait être précisément ce qui le menace. Il court parce qu’il aime ça. Il gagne parce que tout semble naturel. Mais l’histoire du cyclisme est impitoyable envers ceux qui pensent que la joie suffit. Museeuw le sait bien ; la légende des classiques a vu des générations briller intensément, puis s’éteindre discrètement lorsque la discipline s’est relâchée par petites touches plutôt que par catastrophe.
Ce n’est pas une prédiction d’effondrement. Pogačar reste jeune, résistant et extraordinairement intelligent dans sa façon de courir. Mais l’avertissement de Museeuw et Merckx est clair le sport finit toujours par exiger un choix. Entre être partout et être imbattable. Entre savourer l’instant et protéger l’avenir.
Sagan a appris cette leçon lorsque les victoires se sont raréfiées et que le peloton a rattrapé son retard. Pour Pogačar, la question est de savoir s’il l’apprendra tant qu’il est encore devant — ou seulement lorsque les premières fissures apparaîtront.
Dans le cyclisme, la grandeur ne se perd jamais soudainement. Elle se cède en silence, compromis après compromis.














