Malgré tout son génie, Tadej Pogačar commence à entendre un murmure familier venu de l’histoire du cyclisme — un avertissement selon lequel le talent, à lui seul, ne peut pas éternellement distancer la fatigue. Deux des plus grandes voix belges du sport, Johan Museeuw et Eddy Merckx, ont lancé une alerte discrète mais sans équivoque : même les champions les plus doués doivent savoir lever le pied.

La domination de Pogačar est à couper le souffle. Victoires sur les Monuments, triomphes sur les Grands Tours, et une soif de compétition qui semble inépuisable ont fait du Slovène le coureur emblématique de sa génération. Il court beaucoup, attaque instinctivement et semble tirer plus de plaisir de la course que de la récupération. C’est précisément cette joie cette faim permanente que Museeuw et Merckx observent avec une prudente inquiétude.
Ils ont déjà vu cette histoire.
La comparaison qui plane en arrière-plan est celle de Peter Sagan. À son apogée, Sagan était partout, enchaînait les courses, gagnait avec facilité et roulait avec une liberté qui fascinait les fans. Mais les saisons se sont accumulées. Les jours de repos se sont raréfiés. La marge a disparu. Et, peu à peu, l’éclat s’est estompé non pas à cause d’une perte soudaine de talent, mais parce que le corps a fini par présenter l’addition.
Museeuw, lui-même coureur à l’intensité brûlante au sommet, reconnaît le danger de l’excès. Pogačar, suggère-t-il, vit pour courir. C’est à la fois sa plus grande force et son principal risque. Le cyclisme de très haut niveau ne se résume plus à la puissance et au courage ; il est désormais une affaire de précision, de savoir quand il vaut mieux ne pas courir.
L’avertissement de Merckx revêt une portée symbolique encore plus forte. Surnommé le Cannibale pour son appétit insatiable de victoires, Merckx sait mieux que quiconque à quel point la frontière entre la grandeur et l’épuisement est fine. Dans le peloton hyper-scientifique d’aujourd’hui — où les rivaux sont plus frais, plus légers et optimisés jusqu’à l’extrême — courir trop souvent n’est plus un badge d’honneur. C’est une faiblesse.
Le calendrier de Pogačar est devenu un sujet de fascination. Il veut tout : Grands Tours, Monuments, Championnats du monde, classiques, courses par étapes. Là où ses rivaux construisent leurs saisons autour de pics soigneusement choisis, Pogačar semble déterminé à être au sommet partout. Pour l’instant, cela fonctionne. Mais l’histoire du cyclisme est jalonnée de champions qui se croyaient immunisés jusqu’au jour où ils ne l’étaient plus.
La crainte n’est pas que Pogačar s’effondre soudainement. Elle est bien plus subtile. Quelques watts en moins. Une récupération plus lente. Une hésitation là où régnait autrefois l’instinct. Le sport annonce rarement le déclin à voix haute ; il le murmure.
Surtout, ni Museeuw ni Merckx ne doutent du caractère ou du professionnalisme de Pogačar. Au contraire, leur mise en garde est empreinte de respect. Ils voient un coureur si talentueux que la seule chose capable de l’arrêter pourrait être son propre désir de courir.
Si Pogačar apprend à se reposer à vraiment se reposer il pourrait dominer une époque. S’il ne le fait pas, le cyclisme pourrait un jour se demander comment un talent aussi exceptionnel s’est consumé si vite.














